Voilà avec beaucoup de retard la conclusion de mon article sur les théories pré espace-temps.
Dans les parties précédentes, j'ai défini ce que j'ai appelé la définition "AB" de l'Univers, à savoir :
L'Univers est l'ensemble de toute chose ET la sphère causale.
D'après cette définition, j'en avais déduit que l'Univers ne peut avoir été créé que par lui-même, autrement dit, l'Univers est né du néant.
Le principal problème est : comment passer de "rien" à "tout", sachant que dans l'univers physique que l'on connaît, le principe de conservation doit être valable, mais que celui-ci ne l'est nécessairement pas à l'origine du temps ?
Je vais tenter ici de présenter la seule approche (à mon sens) qui donne une réponse pertinente à ce problème : il s'agit de la théorie de la singularité initiale des frères Bogdanov.
Encore une fois, je précise que cette théorie est très controversée et qu'elle ne fait certainement pas l'unanimité au sein de la communauté scientifique. Je ne souhaite pas discuter ici de l'Affaire Bogdanov, mais simplement des idées de cette théorie, mais si vous souhaitez vous exprimer à ce sujet, vous pouvez toujours poster un commentaire.
La théorie de la singularité initiale
Je ne reviendrais pas ici sur le modèle standard du Big Bang (Wikipédia est là pour ça), mais seulement sur les points importants communément admis :
- Le Big Bang n'est pas l'instant zéro de l'Univers mais se situe au plus petit instant physiquement déterminé, environ 10^-43 secondes "après" le zéro, on appelle ce temps "temps de Planck" (Tp)
- "Avant" Tp, aucune propriété physique (masse, impulsion...) ne peut être déterminée à cause du principe d'incertitude de Heisenberg
On peut se poser la question suivante : le temps "avant" Tp existe t-il ?
Ici tous les physiciens répondront en un éclair que non seulement un tel temps n'existe pas mais aussi que la question elle même n'a pas de sens. Rien n'existe en dessous de Tp, l'Univers commence réellement à Tp, d'où l'expression "Mur de Planck".
Pourtant "indéterminé" ne veut pas dire "inexistant". "Indéterminé" devrait à mon sens être vu au sens de "indécidable" dans le système physique : On peut alors imaginer d'étendre ce système pour lever cette indétermination, étendre notre "univers physique" au delà du mur de Planck.
Comme je l'ai dit dans les parties précédentes, d'autres scenarii pré-Univers bien plus audacieux ont été avancés (multivers, branes...) et semble t-il beaucoup plus facilement acceptés. Ici pourtant rien de tout cela, juste une "toute petite" extension : nous rajoutons à notre Univers l'intervalle de Tp à zéro. Quelles seraient les conséquences de cette extension ? Que pourraient-elles nous apporter de nouveau ? Voici quelques pistes :
- Tout d'abord comme je l'ai déjà dit, on peut envisager la possibilité que l'Univers ait été créé du néant. Pourquoi ? Tout simplement parce que l'extension que nous avons ajouté ne fait pas partie de l'Univers physique : entre Tp et zéro, nul besoin de respecter le principe de conservation énergie/matière (d'ailleurs il est par définition non respecté).
- Un indice nous conforte dans cette idée : Le théorème de Noether indique que la conservation énergie/matière n'est pas respectée lorsque la symétrie temporelle est brisée (ce qui est le cas à zéro).
- On peut dire que l'Univers n'existe pas à zéro, ou qu'il "existe en tant qu'ensemble vide". L'entropie de l'ensemble vide est 0. L'intervalle [zéro,Tp] peut être vu comme une phase de transition pendant laquelle l'entropie "augmente progressivement pour arriver à une valeur non nulle" (si la notion de "progressif" ici peut sembler bizarre on peut imaginer un "pic", de toute façon, il n'y a pas de notion de temps "physique"...)
- L'entropie de notre Univers étendu est donc minimale à zéro. Par définition, l'information (duale de l'entropie) y est maximale, d'où l'idée plutôt simple des Bogdanov de dire qu'à zéro tout n'est qu'information.
- Entre zéro et Tp, la quantité d'information diminue tandis que l'entropie augmente. Lorsque cette entropie atteint une valeur critique (j'ai faillit écrire "entropie de Planck", mais une rapide recherche m'apprend que quelque chose de similaire existe sous le nom de "constante de Boltzman"...), l'état du système bascule au delà de l'incertitude d'Heisenberg et les particules physiques sont alors déterminées.
Le temps complexe
Les Bogdanov proposent d'utiliser le formalisme des nombres complexes pour décrire le temps entre zéro et Tp. Au delà du symbolisme (approprié) qu'il peut y avoir entre "temps réel" et "temps imaginaire", il est nécessaire de distinguer ces deux quantités car en dessous de Tp, nous n'avons plus le droit de parler de "temps réel". Pour autant, il est nécessaire de combiner les deux car comme on l'a dit, on imagine une phase de transition qui permet d'atteindre un Tp en "temps réel" avec une valeur non nulle.
Les fluctuations d'espace-temps
L'Univers "physique" (t>Tp) occupe 4 dimensions : 3 d'espace, 1 de temps, cette configuration est notée +++-. On parle d'espace Lorentzien.
Entre zéro et Tp, le temps étant complexe, l'Univers est à ce "moment" là à 5 dimensions. Le temps imaginaire ce n'est plus du temps, on considère donc qu'il s'agit d'espace il y a donc 4 d'espace, 1 de temps : ++++/- (le slash signifie qu'il y a transition ou "fluctuation").
Au voisinage de zéro, la composante "réelle" du temps devient nulle, tandis que rien n'empêche la composante "imaginaire" d'avoir une valeur quelconque (la seule contrainte étant qu'elle soit elle aussi nulle à zéro). Donc, au voisinage de zéro, on peut dire que l'Univers n'a plus que 4 dimensions d'espace, noté : ++++. On parle d'espace Euclidien.
Les Bogdanov proposent donc qu'entre zéro et Tp, la configuration de l'espace-temps (la "signature") fluctue entre un espace Euclidien et un espace Lorentzien.
Le temps zéro ?
A zéro, il ne reste que de l'information. A priori, on ne peut pas l'annihiler, on pourrait s'arrêter ici en concluant que le néant "absolu" n'existe pas et qu'on trouve à la place cette information intemporelle. Mais alors, nous nous retrouvons dans une situation analogue à notre mur de Planck.
Ici, les Bogdanov imaginent un Big Bang "froid" (et intemporel) qui expliquerait l'apparition de cette information à partir du néant (ensemble vide).
Cette partie est sans doute la plus abstraite et spéculative, mais là encore, elle est justifiée par le soucis de proposer une cosmogonie complète, qui va du néant absolu jusqu'à l'Univers physique.
Ils imaginent ici un "moteur mathématique" et donnent un exemple simple. Un "compteur" d'information, qui énumère les "bits" d'Univers au fur et à mesure qu'il les construit. Si on note l'ensemble vide {} et le compteur card(X) = Nombre d'éléments de l'ensemble X. Ce "moteur" pourrait ressembler à :
card({}) = 0
card({0}) = 1
card({0,1}) = 2
...
S'ensuit la construction de la "boule des nombres" : Un ensemble qui s'étend à l'infini. L'information contenue dans cette boule étant l'information intemporelle que nous avions tout à l'heure.
Ils se posent enfin la question ultime : qu'est-ce qui est à l'origine de ce "moteur" mathématique si tant est qu'il existe ? Ici on peut répondre de 2 façons :
- Rien (le "moteur" mathématique existe de toute façon par lui même)
- Une impulsion (qui "insuffle la vie" à notre moteur mathématique)
A mon sens, ce dernier choix n'a plus rien de scientifique mais est du domaine du spirituel. Les Bogdanov choisissent la deuxième réponse : l'explication ultime est un "pic" de dirac, on ne peut expliciter davantage, cela laisse une place au mystère de Dieu.
Mon choix serait plutôt le premier...
Fin du voyage
J'ai bien conscience que beaucoup de ce que j'ai raconté là peut être pris pour des divagations, les idées peuvent sembler simplistes, vagues, mal définies, floues...
D'une part, j'ai énormément résumé et simplifié (trop ?) les idées des Bogdanov, je vous invite donc à parcourir leurs documents par vous mêmes (livres, thèses...). Il existe d'autres arguments en faveur de leurs idées que j'aurai pu présenter : la théorie holographique qui suggère que toute l'information de l'univers soit stockée à la singularité, le "fameux" théorème des produits bicroisés cocycliques qui montre qu'une telle fluctuation est possible d'un point de vue géométrique et la condition KMS qui indique que si l'Univers était dans un certain état d'équilibre à cette époque, alors cette fluctuation a pu avoir lieu.
D'autre part, les Bogdanov ont tenté d'aller au fond des choses avec leurs idées, cela peut sembler présomptueux et peut-être trop "absolu" pour certains pour que l'on puisse qualifier cette approche de scientifique. La recherche d'une cause ultime a toujours été tabou en science. La religion s'est emparée du sujet de la création a tel point que les scientifiques se sont toujours interdit de réfléchir à ce sujet de peur que leur travail soit considéré comme mystique.
Pourtant, je ne peux m'empêcher de penser qu'il y a dans tout cela un fond de vérité et en tout cas une originalité et une volonté certaine de dépasser les problèmes, je dirais presque du courage, car pendant des années ils ont dû lutter pour tenter de construire leur réponse alors qu'on l'a vu beaucoup de scientifiques se désintéressent de la question même. Aujourd'hui les mêmes scientifiques qui auraient tout fait pour empêcher ce travail leur reprochent un manque de rigueur, alors qu'il s'agit pour moi tout simplement d'un manque de moyens et de soutien.
Il est facile de critiquer, de faire des procès d'intention, de prétendre que tout ça c'est du vent et que n'importe qui aurait pu l'inventer. Il n'empêche qu'il n'y a eu qu'eux pour le raconter, qu'ils l'ont bien raconté et que leur raisonnement suit une logique qui dépasse celle de leur propre intérêt ou de simples artifices.
L'avenir pourra peut-être nous dire s'ils ont eu tort. Il est peu probable qu'il nous confirme qu'ils aient eu raison même si c'était le cas. Pour ma part, je ne renierai pas que je trouve leurs idées élégantes et pertinentes.
samedi 4 décembre 2010
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